dimanche 1 août 2010

article paru à la TRIBUNE 1

Renouant avec la traditionnelle transhumance dans le Djurdjura

Les Ath Boudrar fêtent le départ des bergers vers Agwni Lahwa

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Photo : M. Lyès
De notre envoyé spécial à Ath Boudrar
Lyes Menacer

Youyous joyeux des femmes faisant retentir le bendir, cortège de klaxons et de va-et-vient incessants des motocycles entre Tala N’tazart et Agwni Lahwa. L’ambiance austère qui règne au col de Tizi N’kouilal culminant à 1 560 mètres d’altitude, dans le Djurdjura, le restant de l’année, cède la place, le temps d’une journée, à la fête annuelle de la transhumance. Cette fête est organisée par les Ath Boudrar depuis maintenant six ans pour célébrer le départ, durant six mois, des bergers vers la montagne.En ce vendredi estival, dans cette partie du Djurdjura et loin de la canicule asphyxiante des grandes villes, les habitants de Tala N’tazart, un des principaux hameaux de la commune d’Iboudraren, relevant de la daïra d’Ath Yenni, se sont tous mobilisés pour faire de cette fête une réussite. Tôt dans la matinée, des membres du comité du village, aidés par quelques jeunes, étaient déjà à Agwni Lahwa (la plaine de la pluie) pour assurer une meilleure organisation de l’événement. La «route de l’est», une piste agricole à l’abandon depuis des décennies, a subi de légers travaux pour permettre aux véhicules de passer sans danger. Elle devait être bitumée mais le projet tarde à se concrétiser, affirment des villageois sur place. Les inondations meurtrières de 1974 et les secousses telluriques qui ont touché la zone plus tard l’ont rendu impraticable, même pour les randonnées pédestres. Chaabane, la quarantaine, affirme traverser, durant son adolescence, cette route sinueuse et serpentée jusqu’à presque atteindre le col de Tirourda, du côté d’Iferhounène, un point marquant la frontière entre Tizi Ouzou, Bouira et Béjaïa.

Une fête pastorale dans un cadre champêtre
Afin d’éviter tout accident, des jeunes, habillés de gilets vert-pistache jalonnaient le parcours pour rassurer les automobilistes qui devaient abandonner leurs véhicules et continuer, sur une distance d’un kilomètre, leur visite à pied. Regroupées autour d’un bassin d’eau, des vaches et des veaux semblaient apprécier la présence des hommes, des vieux, des femmes et des enfants. En cette période de canicule, en l’inexistence d’un coin ombreux, elles ne pouvaient pas s’éloigner de ce point d’eau que les bergers ont aménagé avec de la pierre et du ciment. Tombé en ruines, et faute de moyens matériels et financiers, «Amrah» ou l’enclos, un préau bâti en parpaings, n’a pas pu être reconstruit, peut-on constater.«A cause de l’insécurité, nous n’avons repris les pâturages que depuis quelques années seulement. Il y a beaucoup de choses à faire dans cet endroit», dit, du haut de ses soixante-cinq ans, Dda Abdellah, un berger de Tala n’Tazart. La veille de la fête de la transhumance, les hélicoptères de l’ANP ont pilonné durant toute la journée cette zone montagneuse, difficile d’accès et couverte d’une dense forêt de pins d’Alep et de cèdres. Pendant longtemps, Agwni Lahwa était une zone interdite en raison d’une forte présence de groupes terroristes à la fin des années 1990, explique Lamara, un habitant de Darna qui dit exercer le métier de berger depuis au moins un quart de siècle. Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé, ajoute-t-il. La sécurité est quasiment revenue sur les hauteurs du Djurdjura. Les guérites vides d’un détachement de l’armée nationale, au niveau du col de Tizi N’kouilal, sont le témoin du retour progressif de la sécurité. Et si de temps à autre, des terroristes sont éliminés par les soldats de l’ANP au niveau de cette zone, cela n’empêche pas les citoyens de Bouira, des Ouacif, et d’Ath Yenni de circuler librement, sur le chemin serpenté menant vers Aswel et Tikjda. Le bitumage de la RN 30 reliant Tizi Ouzou à Bouira encourage davantage les plus téméraires à reprendre la route du tourisme de montagne, surtout en été, durant lequel certains préfèrent l’air frais des hauteurs à la promiscuité des quelques rares plages ouvertes à la baignade.

L’estivage en montagne commence en avril
La fête de l’estivage vient en fait marquer la fin d’un cycle d’une pratique séculaire dans ces régions reculées et montagneuses du versant Nord du Djurdjura. Dès le mois d’avril, les éleveurs de bovins pâturent dans les champs situés non loin de leurs villages. Durant tout le printemps et jusqu’au début du mois de juillet, les bêtes sont placées dans des enclos traditionnels à Tahelouant, Azra Iderman, Agouni Khellil et à Ighzer, entre autres lieux d’alpage. Les enclos sont souvent construits à proximité de points d’eau, généralement des sources naturelles disséminées à travers la montagne. Parfois, l’eau est acheminée par des conduites que les bouviers confectionnent avec des tuyaux en plastique et en plomb. Ces abreuvoirs sont restaurés quelques jours avant le début de la saison d’estivage, tout comme les enclos que la neige et les pluies détruisent partiellement durant la saison hivernale. Ces étables en plein air servent à protéger les bêtes des vols et des animaux prédateurs qui rôdent dans le grand Djurdjura, cette masse rocheuse qui n’est pas seulement un lieu de villégiature pour les amoureux de l’escalade et de la nature, mais aussi une source de vie pour le bétail.
Pendant que les cheptels sont placés en contrebas du flanc de la montagne, les bergers préparent les autres sites d’accueil pour leurs bêtes au niveau d’Agwni Lahwa dont une partie est couverte par une dense forêt de cèdre et de pin d’Alep. Le majestueux pic de Lalla Kheddidja, la Sainte, qui offre une vue d’une rare beauté sur la Kabylie, avec ses 2 300 mètres d’altitude, n’est pas loin. N’ayant pas le temps pour dominer de leur regard la plaine et pour éviter de se brûler les ailes comme Icare, pour s’être trop approché du soleil, les bergers restent à Agwni Lahwa afin de réunir toutes les conditions nécessaires pour une saison d’estivage sans de graves incidents. Malgré leur longue expérience dans le métier et leur connaissance du terrain escarpé de la montagne, les bergers perdent régulièrement des veaux imprudents qui tombent accidentellement dans les ravins. C’est surtout du vol de bétails dont se plaignent les pâtres qui ont à chaque fois recours à l’administration judicaire pour punir les voleurs dont certains sont originaires des Imchedalen, Imsdourar et Iwakouran, des villages du versant Sud du Djurdjura et qui relèvent de la wilaya voisine de Bouira. «Je viens de libérer deux veaux que j’ai trouvé attachés à un arbre. Les voleurs ont sûrement pensé revenir les prendre à la tombée de la nuit comme ils ont l’habitude de le faire», déclare Lamara, précisant que sans la vigilance de ses «collègues» bergers, ils auraient perdu tout le bétail qu’ils ont élevé avec beaucoup de peine et de labeur.Pour la saison 2010, les 25 bergers qui se sont installés à Agwni Lahwa, où se trouve la célèbre source d’eau que les habitants locaux dénomment «Tamduct n’llaz» (la source apéritive), doivent surveiller de près environ 700 bovins. Ces fellahs, dont certains ont commencé ce métier dès leur plus tendre enfance, se font habituellement aider par leur  progénitures qui les ravitaille régulièrement en galette de pain traditionnel et autres produits alimentaires, leur évitant ainsi de quitter leurs cabanes en montagne durant la période des six mois d’estivage.

La fête de la transhumance, un moment de solidarité
Habituellement organisée au mois d’août, cette année, la fête de l’estivage a été avancée à la fin du mois de juillet, en raison du mois de Ramadhan. Les femmes chargées de préparer l’offrande (couscous, viande et gâteaux traditionnels), se sont donc donné rendez-vous à la place du hameau de Tala N’tazart. Elles ont été déplacées dans le bus mis à la disposition des villageois par le maire d’Iboudraren qui a voulu apporter aussi sa contribution, du mieux qu’il pouvait, à cet événement pastoral.C’est sous l’ombre rafraîchissante du cèdre et du pin d’Alep que le succulent couscous a été servi à tous ceux qui ont fait l’effort d’honorer par leur
présence le rassemblement des bergers des Ath Boudrar. Entre deux bouchées, les plus jeunes parmi les présents ont saisi l’occasion pour écouter les légendes qui ont accompagné les bergers à travers les temps. Le chant des femmes et des jeunes filles qui entonnaient des airs kabyles, puisés du terroir, n’a fait qu’ajouter de la gaité à la joie qui illuminait le visage des enfants et des organisateurs de la fête, contents de voir tous les habitants apporter leur contribution. Jusqu’à presque quatorze heures, la dense forêt de cèdres d’Agwni Lahwa continuera de grouiller de monde. Les visiteurs n’ont cessé d’affluer depuis la matinée. Pour certains, l’idée de revenir l’année prochaine, pour assister à la fête de l’estivage, est déjà inscrite dans leur agenda. A Tala N’tazart, la fête s’est poursuivie avec l’organisation d’un concours de poésie, un autre concours culinaire pour les vieilles femmes et un mini-cross pour toutes les tranches d’âge. A la maison de jeunes du village, des conférences sur le diabète et le tabagisme ont été dispensées par des professeurs universitaires. Une occasion a été également offerte aux femmes au foyer pour exposer toutes sortes de produits artisanaux dont des bijoux, de la poterie et des robes kabyles. Sur les hauteurs du Djurdjura, à quelques encablures de Tizi N’kouilal, et après avoir goûté à leur part de l’offrande, Lamara et Abdellah, les plus âgés des bergers de la région, ont repris la direction du sentier qui mène à Imrahen et à Takharat où les bovins faisaient tranquillement leur sieste en attendant l’arrivée des pâtres. 
L. M.
Portrait de deux bergers hors normes
Dda Lamara, un pâtre septuagénaire
Trapu et de petite taille, Dda Lamara exerce le métier de berger depuis vingt-cinq ans. Du haut de ses 72 printemps, il continue à parcourir le Djurdjura, à la recherche d’alpage pour ses bovins, comme un jeune athlète de vingt ans. Cet amoureux de la nature trouve sa paix intérieure au milieu de ses bêtes et de cette montagne dont il connaît les moindres recoins. Il suffit de lui demander pour qu’il nomme chaque parcelle et indique les sources d’eau potable. Affable et tout le temps souriant, il n’hésite pas à communiquer ses connaissances à tout jeune désireux de se lancer dans le métier de bouviers que l’on sait pénible dans ces zones escarpées de Kabylie. Dda Lamara a le secret de pouvoir approcher ses bêtes sans les déranger ou les faire fuir. Tendre et affectueux avec elles, il ne lésine sur rien pour les soigner et les mettre à l’abri de tout danger les guettant.
Dda Abdellah, jeune berger de soixante ansLe visage émacié par les rudes hivers qu’il a passés en montagne, Dda Lamara raconte son expérience en tant que berger avec force détail, signe de l’amour qu’il porte à ce métier qui le fait vivre, lui et sa nombreuse famille. La particularité de Dda Abdellah c’est qu’il se consacre à cette activité depuis moins de dix ans, depuis sa sortie à la retraite. Mais des légendes qui mythifient son métier de bouvier, il en connaît et se fait plaisir de les narrer aux plus jeunes pour qu’ils sachent que le Djurdjura n’est pas seulement cette masse rocheuse, avec ses forêts ombragées, ses sources et ses cols. Pour lui, les lieux d’alpages sont chargés d’histoire commune et des hommes sont tombés en se battant pour le contrôle d’un territoire, à première vue hostile à toute forme de vie humaine, en raison de son relief accidenté aux conditions climatiques insupportables, son éloignement des grands centres urbains et l’inexistence de suffisamment de terre pour l’exercice
de l’activité agricole. 
L. M.

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